Feeling the vibe?

Je les ai tous lu des dizaines de fois, de long en large et en travers sans me soucier de couper court malgré le fait que je les connais tous par cœur. Tous les livres qui ornent ma bibliothèque n'en étant plus vraiment une depuis quelques années déjà, remplacée par des amas de livres s’étalant un peu partout dans ma modeste demeure. On croirait presque que je m'apprête à déménager de façon permanente à voir le chaos qui règne dans cette trop petite pièce qu'autrefois je pouvais nommer salon. Lorsque je n'étais pas seul pour en assurer le rangement et que le strict naturel de mon enfance militaire transpirait hors du moindre de mes gestes. Du moins, au niveau du rangement et pas forcément dans toutes les sphères de mon existence. Il faut dire qu'en ce sens j'ai toujours été un peu un mouton noir, tout comme mon jeune frère il faut l'admettre. Il n'y a bien que notre sœur aîné qui a toujours su apprivoiser la veine militaire pour la faire sienne et agir de ce strict et ordonné exemplaire digne des meilleurs soldats, là où je préférais coller mon nez entre les pages d'un livre de guerre pour lire à propos des soldats plutôt qu'en être un. Elle me gronderait sans doute tout autant que mon père si elle voyait l'état de cette pièce dont je n'ai pourtant perdu le fil de rien. Chaque livre est à sa place et je sais où se trouve chaque livre, ce qui ne renforce que davantage mon pressentiment du moment. J'ai besoin de nouveaux livres. Non parce que j'en manque, c'est bien tout le contraire, mais plutôt parce j'ai besoin d'un peu de nouveauté. Autant pour mon propre plaisir personnel que pour celui, je l'espère toujours autant et peut-être à tord, de mes élèves. Je ne suis tout de même pas aveugle au point de ne pas remarquer que mon cours n'est pas celui qui est forcément le plus apprécier, puisque forcer la lecture des Oscar Wilde et Howard Pyle de ce monde n'est assurément pas pour tous. Ça ne m'empêche pas d'espérer en accrocher au moins un, peut-être même deux, avec mes grands propos passionnés. Chose qui nécessité un renouveau occasionnel pour ne pas leur présenter que des œuvres datant de bien avant notre naissance, la leur comme la mienne, malgré mon amour profond pour les vieux romans en tous genres.

En ce samedi matin, exempt de cours à donner et plus que déterminé à faire atteindre de nouveaux sommets à mes piles de livres, je me suis donc rendu à une librairie dont j'ai entendu parler à quelques reprises. Veston enfilé pour dissimuler mes bras et surtout la marque s'y trouvant, simple précaution que j'ai pris l'habitude d'adopter, je prends mon éternel sac à bandoulière où se glisse Magnus non sans me lancer un regard et passe le pas de la porte. Cet animal aime respirer le grand air et avec raison sans doute. Je crois que je serais tout aussi malheureux que lui si je devais passer mes journées enfermé à l'intérieur. Peu importe ce qu'il en est de lui et de nous, il reste un animal sauvage et surtout fort peu commun en ce coin de pays si ce n'est possiblement dans un zoo. Raison pour laquelle j'apprécie ce choix de taille parmi les nombreux qu'il aurait pu adopter. Cette bestiole a prévue son coup.

C'est en voiture que je décide de m'y rendre, du moins partiellement compte tenu de la faible distance à parcourir, mais surtout de la lourdeur des livres à transporter si je flanche plus que je ne le devrais. Je sais pertinemment qu'une librairie est pour moi ce qu'une boutique de bonbons est pour un enfant, un paradis tout autant qu'un enfer de tentations. Ceci ne m'empêche néanmoins pas de parcourir les quelques mètres me séparant de cette dernière à pied avant de finalement en passer le bas de la porte, déjà bien trop enthousiasmé par la simple odeur qui s'en dégage. Comme je peux apprécier l’effluve dégagée par les pages d'un livre là où certains n'y sentiraient peut-être qu'une vieille odeur de moisie ou la simple odeur de l'encre presque fraîchement séchée. Sans doute est-ce la raison pour laquelle je garde pour moi toute potentielle exclamation de joie à cet effet et me contente d'observer le tout non sans laisser un fin sourire planer sur mes lèvres. La question reste tout de même de trouver ce que je vais bien pouvoir me mettre sous la dent, ou plutôt sous les yeux, que je n'ai pas déjà lu et ça risque d'être un défi de taille. « Il y a quelqu'un? » Scrutant les premières allées et le comptoir sans voir personne, je me permets la question en me disant qu'une personne qui gère une librairie devrait être en mesure de m'aider avec ce petit soucis non?