A step too far

Le soleil peignait la salle d’une couleur orange alors qu’il descendait vers l’horizon. Bob n’aurait sans doute jamais eu le courage d’infiltrer l’Académie de nuit, mais il était encore assez tôt pour qu’il puisse avoir l’air d’un simple traînard. Les étudiants avaient tant de bonnes raisons de se rendre à la salle des professeurs après les cours. Entre ceux qui voulaient avoir un délai pour rendre leurs devoirs, qui avaient un problème avec une de leurs notes, ou qui voulaient davantage d’informations sur un sujet précis.

C’était ce dernier point qui amenait justement Robert ici, en cette belle fin d’après-midi, comme bien des fois auparavant. Pour tout dire, la plupart des enseignants de l’Académie le voyaient sans doute comme une nuisance, certains qualifiant d’obsessif son besoin de connaissances. Mais ils ne comprenaient pas ce qu’il subissait. C’était loin d’être le seul Élu à Édimbourg, bien entendu. Mais ses semblables avaient eu la chance de connaître leur prédécesseur, ou au moins quelqu’un qui ait connu l’un d’eux. Les Élus du Lion avaient même la chance d’être plusieurs à assumer cette fonction, ce qui leur offrait un avantage tout aussi puissant que leurs capacités.

Robert, lui, n’avait pas cette chance. Personne à l’Académie ne semblait jamais avoir rencontré un Élu du Varan, certains professeurs n’avaient même jamais vu de potentiels. L’Anima, quant à lui, se trouvait à l’autre bout de la planète, sur une île que Bob n’avait jamais visité. Il ne lui apparaissait qu’en rêve, ou lors de visions éveillées, et se refusait à parler de ses anciens élus. Le jeune homme aurait pu détester Panjang pour son silence, s’il n’avait pas été conscient de la plus profonde bienveillance qu’il avait envers lui, grâce au lien mystique qui les liait. Panjang l’aimait comme un frère, un fils, et un père à la fois. Ce genre de chose ne s’imaginait pas, et ne pouvait pas être nié. Ça n’empêchait pas à Bob de se sentir frustrer alors que ses questions restaient sans réponse.

Et c’est cette frustration, en plus des douleurs constantes et des inquiétudes que suscitaient ses capacités naissances, qui fit agir Robert. L’Académie des Lions existait depuis si longtemps, elle était si importante, qu’il ne comprenait pas comment cette situation pouvait être possible. Il avait décidé de faire le bon choix, de penser aux autres, en les rejoignant alors que même Panjang lui avait dit qu’aucun de ses Élus ne l’avaient jamais fait. Il plongeait la tête la première dans des intrigues politiques qui ne le concernaient pas, alors que sa mère avait quitté l’Écosse pour lui éviter ça. Et il n’obtenait rien en retour, à part des connaissances générales sur les Élus et les Animas. Mais ils devaient savoir quelque chose. Bob avait entendu des bruits de couloir sur les jeux d’espions entre l’Alliance et la Confrérie, et ça signifiait que même les Affranchis devaient être sous surveillance.

Ses prédécesseurs étaient tous Affranchis, et l’Alliance devait le savoir. Même si ses professeurs n’avaient jamais rencontré d’Élu du Varan, ils devaient avoir appris des choses à leur sujet. Peut-être qu’ils refusaient de l’avouer à Robert – un nouvel arrivant – de peur de trahir leurs sources. L’Alliance pouvait après tout penser que le Varan était loyal à la Confrérie, et que Bob était un espion potentiel. Eh bien, s’ils comptaient lui cacher la vérité parce qu’ils n’avaient pas confiance en lui, il n’avait aucune confiance à trahir en s’infiltrant dans la salle des professeurs.

A step too far

Bob se figea lorsqu’une voix l’accueillit au sein de la salle des professeurs. Il avait cru bon de jeter tout d’abord un coup d’œil dans les coins, de peur qu’un enseignant ne soit hors de son champs de vision. Il n’avait pas prévu de trouver quelqu’un planté en plein milieu de la pièce. Et ce n’était pas n’importe qui, non plus. Craig Forbes, Élu du Lion, aussi amiable fut-il n’en restait pas moins une figure d’autorité dans l’Académie. Une position qu’il assumait sans mal avec son dos droit, son regard fixe, et ses airs de mannequins viriles.

Ce n’est pas un T-Rex, s’amusa Panjang au fond de son crâne, il te voit très bien même si tu ne bouges pas. Bob fronça les sourcils. Est-ce que l’Anima du Varan avait vu Jurassic Park à travers les yeux d’un de ses anciens Élus, ou Bob imaginait-il l’interaction ? Peu importe, le fait est qu’on venait de le prendre la main dans le sac. Et s’il s’avait une chose sur les lions, c’est qu’ils isolaient leur proie avant de l’attaquer. Manque de chance, Robert était déjà isolé.

Il s’apprêtait à trouver un moyen de se défendre – une excuse, bien entendu, il ne s’apprêtait pas à se battre avec Mr. Forbes – quand il remarqua enfin une chose importante. Craig avait l’air plus surpris de le voir que mécontent. Loin d’être un criminel accompli, Bob avait pensé que ses intentions étaient évidentes parce qu’il se sentait coupable avant même d’avoir commis l’acte. Il se redressa immédiatement et tenta même de sourire, tout en ayant parfaitement conscience qu’il était loin de paraître innocent.

"En effet, Mr. Forbes." Il hocha la tête et prit une grande inspiration. Il devait trouver une excuse et vite. Impossible de dire qu’il était venu déposer un devoir qui tardait, puisqu’il n’avait rien dans les mains. Mais plus il restait silencieux et plus Craig serait soupçonneux. Pourquoi est-ce que Bob retenait son souffle ? Il n’était vraiment pas fait pour être malfrat. "Je voulais savoir si quelqu’un avait des informations sur mes prédécesseurs."

Il manqua de se mordre la langue après avoir craché le morceau. Il n’avait pas révélé qu’il voulait fouiller les affaires des enseignants à la recherche d’indices, au moins. Forbes avait sans doute entendu parler de ses demandes à répétitions, de cette obsession qu’on lui attribuait. Même si Bob n’avait jamais eu le courage de déranger le conseil directement, l’Élu du Lion connaissait probablement sa situation.