All monsters are human

All Monsters are Human

La vérité que l'on recherche n'est pas forcément celle que l'on aime entendre. D'une certaine manière, Ella l'avait bien compris, pour quelqu'un qui prônait que trop souvent l'honnêteté, elle savait à quel point, parfois, il était difficile d'entendre la vérité. La vraie. Celle qui pouvait nous blesser, ou même nous anéantir de ses quelques mots. Une trahison. Un mensonge révélé, et les masques tombent.

Elle avait pris l'habitude que l'on vienne à elle. Pour savoir. Pour comprendre. Pour qu'elle puisse donner des réponses à ceux qui ne savaient plus où en chercher, d'un passé bien enfoui, ou d'un présent encore et toujours d'actualité. Et si cette habitude avait tendance à la placer dans une position inconfortable face à son rang, Ella ne pouvait reculer devant ces appels à l'aide. Une soif aussi grande de vérité la poussait à jouer les justicières dans le dos de ses grands patrons. Ces trois lions, qui l'enverront assurément à l'exil lorsqu'ils découvriront ses écarts de conduite. En admettant qu'ils les découvrent un jour.

Quoi qu'il en soit, Ella avait commencé à deviner. D'où son obstination à sortir de ses sentiers battus. Des doutes de plus en plus pesant s'installaient. L'Alliance n'était pas, ou plus ce qu'elle prétendait être. La Trinité cachait des choses et ceux qui leur obéissaient fermaient les yeux sur chacun de leurs actes en continuant à suivre leurs ordres. Mais est-ce que sa mère en avait eut connaissance ? Avait-elle laissé aboutir ces agissements sans même s'interposer, elle aussi ? Si la plus jeune de ses enfants se questionnait dès à présent sur ces innombrables interrogations, elle avait connaissance pourtant, qu'elle, contrairement à d'autres, ne pouvait plus avoir de réponses.

Mila Gallagher était partie, en enterrant précieusement ses secrets dans sa tombe. Plus rien n'avait de sens.



Il y a un mois ou plus, Ella avait été contacté anonymement par sa boite mail utilisée principalement par son cabinet d'avocats qui se trouvait au centre-ville d'Edimbourg, celui qui lui faisait office de double vie lorsqu'elle ne travaillait pas pour l'Alliance. Et quand bien même elle ignora encore jusqu'à aujourd'hui toutes informations au sujet de cette personne, l'élue du renard avait pris un plaisir curieux à offrir son aide à cet inconnu. Sans jamais trop en dire. Sans jamais trop en faire. Elle restait plongée dans un néant absolu tout en imposant une certaine limite à ses réponses par pures précautions à sa propre couverture et sécurité. Elle n'était pas idiote, et elle savait que la personne au bout de ces écrits hebdomadaires en savait bien assez sur l'Alliance et son monde. Un élu exilé ? Probablement. Ou juste un enfant qui cherche des réponses sur l'un de ces défunts parents ? Bien plus plausible.

Mais le jour de la rencontre était arrivé. Ella s'était rendue sur les lieux en avance, une heure pour être précise, avec l'intention de fleurir la tombe de sa mère. Personne ne lui rendait visite en dehors d'Ella, elle avait été physiquement oubliée, et rapidement remplacée. Par sa propre fille, par intérêt. Les alliés ne la pleuraient pas. Ils leur arrivaient de regretter son efficacité que très rarement égalée. Mais pour eux, seul le renard comptait. Lui, mais surtout sa capacité d'intelligence analytique.

« Tu finiras par m'enterrer avec toi. »

Un dernier mot à sa génitrice. Et la silhouette de la seule fille Gallagher quittait à cet instant le caveau familial. Les générations qui la précédaient finissaient tous par atterrir dans ce mausolée. Un jour, elle reposera là, elle aussi. Comme si sa dernière destination avait été tracée depuis sa naissance. Rien que l'idée lui paraissait déconcertante.

Après quelques pas au milieu de l'allée qui la menait jusqu'au portail, ses iris sombres se mirent à arpenter minutieusement les lieux. À la recherche de quelque chose, ou peut-être bien de quelqu'un... Qu'elle ne tarda pas à trouver.

Qui se donnait rendez-vous devant un cimetière ? Personne. Elle avait indiqué l'emplacement du troisième banc, là où cet homme se trouvait vraisemblablement installé. Elle n'eut aucun doute sur son identité. Du moins, sur l'identité qu'il avait bien eut l'audace de lui donner. Elle ne connaissait pas son vrai nom et encore moins son clan. Mais elle pouvait dès à présent mettre un visage sur cet inconnu qui avait clamé son aide.

« Est-ce que l'endroit vous paraît-il suffisamment discret ? »

On érige sans cesse une statue à nos émotions passées. À la douleur d’un rescapé, à la commémoration des oubliés. On fait le deuil de notre souffrance et on apprend à vivre avec le poids de nos erreurs en purgeant notre peine. Pas lui. Il bloque tout ce flux incontrôlable et l’amasse dans un coin de son esprit, au bord de la rupture. Il accumule les échecs et se préserve des terribles émotions destructrices que sa simple existence avait engendrées. Ses pas étaient mêlés à l’agacement de ses gestes, seule l’espérance d’une conclusion favorable pour ses desseins, suite à cette entrevue, préservait sa lucidité. Ses céruléennes contemplent alors le fastueux spectacle des reliques du passé. Les mains dans les poches de son manteau, il relève son col et plisse les yeux. S’épargnant ainsi, le douloureux constat des privilégiés. Un sourire amer orne désormais ses lèvres.

On honore les morts en leur offrant une demeure à la hauteur de ce qu’ils ont représenté. On leur confère une stèle avec le patronyme qui a toujours constitué leur identité. Pour les plus inspirés, une inscription en lettres gothiques, des rimes mal agencées, ornaient désormais leurs pensées sur un bout de pierre que personne ne viendra plus jamais visiter. Ce pathétisme le rebutait, et pourtant... il les enviait. Ces fils de chien à la loyauté sans faille, à l’insouciance répugnante et l’hypocrisie reluisante. Il n’avait même plus le corps de sa propre mère à honorer. La commémoration ne lui avait jamais été octroyée. L’honneur avait été bafoué, et encore dans la mort elle était ainsi maltraitée. S’installant sur le banc, il pince ses lèvres. Se concentrant sur le décor tout en omettant toute sa profondeur.

- Tout ira bien, Al ?
- Je gère.

Les yeux se plisse, ses iris se rétractent, la douleur s’amenuise… le corps se soumet à ses quelques désirs. Il omet la douleur, la souffrance et la colère que lui suscite l’endroit. Tout ce qui pourrait nuire à l’entretien qui allait suivre et déterminer le reste de sa quête.

- Prends garde à ne pas trop fuir la cruauté des faits… le retour ne sera que plus destructeur, et tout ce que tu auras préservé, sera à jamais anéanti.

Serket s’inquiétait réellement pour son ami. Le lien qui les unissait n’en n’était que plus fort. Pourtant, ses précieux conseils ne parvenaient pas à toucher son plus fidèle compagnon. Qui à l’entente de tes pas, leva instinctivement les yeux.

« - Pour une fille de votre âge, passer son temps dans un cimetière… c’est une habitude plutôt morbide. » Souffla-t-il alors, un sourire malicieux étirant la commissure de ses lèvres dans l’audace d’apposer à son expression, une pointe de sarcasme.

Il se redresse légèrement. À ton regard, il comprit que son visage t’était inconnu, ce qui favorisait une totale objectivité dans votre prochain échange. Il relève son menton et arbore un léger sourire, il plisse les lèvres et hoche silencieusement la tête tout en se rapprochant.

« - Je dois tout de même vous concéder le choix de l’endroit pour ce qui est de la discrétion. S’ennuyer à pleurer des personnes devenues inutiles pour les affaires, ce n’est pas une habitude très courante chez vous. Pas vrai ? »